C’était déjà le cas avant la crise sanitaire, mais depuis le confinement le rapport des Français au travail et à l’entreprise, connaît une mutation sans précédent. Elle implique plus d’autonomie pour les individus et plus de souplesse pour les entreprises. Patrick Levy-Waitz qui a piloté la mission « Coworking : territoires, travail, numérique », observe qu’il ne s’agit pas d’une évolution de courte durée « mais bien d’une tendance puissante et durable à laquelle participent les tiers-lieux. » Un phénomène rendu possible et qui prend de l’ampleur grâce bien sûr, au déploiement d’internet et de la fibre dans les campagnes.
Le tiers-lieu n’est pas une auberge espagnole ni un télécentre, ni un espace Wi-fi ouvert aux quatre vents. Et ce n’est pas uniquement du coworking. Les échanges, la mutualisation des savoirs et des outils y ont toute leur place.
C’est aussi un état d’esprit, une philosophie dont l’ADN est le « faire ensemble ».
Ce modèle de travail « ni chez soi ni en entreprise » séduit les créateurs d’entreprises, les artistes, des professionnels libéraux, des artisans et les travailleurs indépendants. Leur motivation ? Ne pas bosser seul dans son coin, rompre avec les épuisants trajets maison-boulot et privilégier un certain cadre de vie.
Carole Martineau, créatrice de coussins en tissus 100% écoresponsables en avait un peu marre de prendre son salon pour un atelier. Elle occupe aujourd’hui un studio de création à la Briqueterie de Feucherolles. Dans cette ancienne usine réhabilitée par la dynamique Olivia Allard, 70 entrepreneurs yvelinois, les « briquettes » forgent la colonne vertébrale de ce lieu qui a donné un nouveau souffle économique à la plaine de Versailles.
Pierre, courtier en assurances parisien gère son activité depuis les Yvelines. Avant le confinement, il travaillait trois jours à Paris et deux jours au 50 Coworking de Méré Village à l’entrée de Montfort L’Amaury. Désormais, il inverse le rythme pour passer plus de temps dans ce superbe espace de coworking blotti entre les champs de maïs. Tristan, journaliste et historien d’entreprises, amoureux de Paris et de son énergie a fini par jeter l’éponge, lassé des trajets et de la pollution. Il a trouvé au « 50 » tout ce dont il avait besoin pour concilier travail, convivialité et cadre de vie ressourçant.
Autre site très inspirant, le Quai des Possibles à Saint-Germain-en-Laye. Sous l’impulsion de Laurence Besançon, l’ancienne gare de la grande ceinture est devenue un espace tout aussi studieux que joyeux, réputé pour son accompagnement des jeunes créateurs d’entreprise. Economie circulaire, insertion et développement durable constituent l’ADN des entrepreneurs, les « abeilles » du Quai des Possibles qui sont en incubation dans La Ruche.
Le modèle économique du tiers-lieu reste fragile. Pour qu’il fonctionne, il doit être animé par un gestionnaire ou un administrateur et s’ouvrir sur le territoire où il est implanté. Pour Blandine Cain, gérante du 50 Coworking, l’interaction avec le territoire est essentielle :
« Le tiers-lieu doit avoir du sens. Il doit être ancré dans le tissu local. C’est un maillon économique et social fort, qui peut attirer dans les communes rurales de nouveaux habitants désireux de se mettre au vert »
Les tiers-lieux donnent aussi une impulsion aux circuits courts, à la consommation locale et ont un impact non négligeable sur l’empreinte carbone puisque la plupart des coworkers vivent à moins de 30 minutes de l’espace partagé.
On doit à Ray Oldenburg, professeur américain de sociologie urbaine, l’expression tiers-lieu qu’il a utilisée pour la première fois en 1989 dans son livre « The Great Good Place ». Selon sa définition, il s’agit d’un espace communautaire (ni la maison, ni l’entreprise), de partage et de collaboration où l’ambiance est conviviale, le cadre chaleureux, ressourçant, « inspirant ».